Les cavaliers de la vallée interdite

les cavaliers de la vallée interdite-islandeUn œil sur le ciel, l’autre sur la rivière, les cavaliers se sont mis en chemin de bon matin. Ce n’est pas une route, ni même une piste ou un sentier. Juste le lit d’une rivière qui serpente et s’étrécit entre d’étranges collines multicolores. Pour atteindre le fond de la vallée de la Jökulgil, l’un des secrets les mieux gardés d’Islande, mieux vaut disposer d’un robuste 4×4 pour traverser une vingtaine de fois le torrent aux flots puissants. Et surtout attendre le seul jour de l’année où la vallée est ouverte aux véhicules: celui du réttir, le traditionnel rassemblement des moutons.

En ce samedi de septembre, déterminé à la lecture d’un ancien calendrier lunaire, les éleveurs de la région, des bergers, des volontaires et une poignée de passionnés de nature s’engouffrent dans le canyon sous un froid coupant, escortés du vent et de la pluie.

A leur tête se trouve Kristinn Gudnason, le plus célèbre des fermiers de la région. On le surnomme «Le roi de la montagne», pour sa connaissance du climat, des bêtes et des hommes. Kristinn a vécu son premier réttir à 14 ans, l’âge minimum, et n’en a manqué aucun depuis. C’est lui qui forme les groupes, entre bergers jeunes et expérimentés, bons marcheurs et cavaliers émérites, hommes et femmes.

Lui qui désigne les sommets et les vallons vers lesquels mener les recherches. Lui encore qui intime l’ordre au convoi de s’arrêter parce qu’il a aperçu trois grosses boules de laine franchir un col. Chacun de ses gestes est un ordre.

Le réttir est une tradition séculaire. Début juillet, tous les éleveurs d’Islande ont lâché leurs jeunes moutons sur les pâturages des hautes terres. Ils viendront les chercher deux mois plus tard, à l’approche des premières neiges. Blonde et vive, sorte d’elfe au milieu des ogres, Dora Kristinsdottir est la fille du «Roi de la montagne». Cent trente moutons à elle paissent dans ces collines. Elle n’est pas la dernière à bondir entre gorges et ruisseaux, rassemblant les bêtes sans montrer un signe de fatigue. Elle ne se formalise pas de la pluie tenace. Elle connaît le dicton: si tu n’aimes pas le temps qui fait, attends cinq minutes…

«C’est un jour que j’adore, pour son esprit de solidarité et d’amitié, explique Dora. Il suffit de monter sur une colline et tu te sens perdu dans l’immensité. Nous devons rester au contact d’une nature rude. C’est notre culture. Quand en 2008, l’Islande est devenue folle, que notre économie a vacillé, on n’a jamais compté autant de volontaires. Parce que le réttir est un repère. Ici, tout le monde est égal devant la fatigue, la pluie ou la neige», appuie Dora. Elle a entendu son père conter l’époque où les bergers dormaient sous la tente. Cette région avait la réputation d’être hantée. On pensait aussi qu’elle abritait des hors-la-loi. Kristinn a un petit sourire. «Ce qui était le cas, bien sûr…» Olivier JOLY

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