Un voyage d’outre-monde

C’est un tableau de bleus, de gris et de blancs aux nuances inconnues loin des pôles. Les flots sombres sont piquetés de centaines de notes brillantes. Ce sont les petits frères des icebergs : growlers (ou bourguignons), hauts de moins d’un mètre, et sarrasins, petits fragments issus de la fracture des glaciers. La péninsule Antarctique, étroite corne du continent blanc pointant vers l’Amérique du Sud, est la continuité des Andes. D’où ces reliefs théâtraux, l’entrelacs de détroits et d’archipels, les roches acérées et les plages ténébreuses. Par-delà les sommets, une glace infinie. La calotte glaciaire, ou inlandsis, est haute de 2.000 m en moyenne. Elle contient 98% des réserves d’eau douce de la planète.
L’Antarctique est un livre ouvert d’histoire-géographie. Les Shetland du Sud, magnifiques îles volcaniques dessinées au fusain, sont les sentinelles de la péninsule.
Sous le soleil (le thermomètre atteindra 5° C), le navire mouille dans des baies superbes et différentes. À Paradise Bay, le front du glacier évoque les ruines d’un château fort. Neko Harbor est un cirque de glaciers, baigné d’une lumière spectrale. À Port Lockroy, base scientifique britannique, on discute avec Michael, homme à tout faire, qui enchaîne les missions pour l’Antarctic Heritage Trust. «J’aime le travail ici, sourit-il. Je ne me sens absolument pas seul, puisque nous sommes toujours au moins deux…»
Jusqu’en 2041, date butoir du traité de l’Antarctique, le continent blanc sera dédié à la science et à la paix. Et au-delà? « Le but de ces voyages est de sensibiliser les visiteurs à cet écosystème, qui est une clé de l’avenir, explique Nicolas Dubreuil, chef d’expédition. L’effet pédagogique compense le passage de 30.000 personnes par an. » Le périple s’étire à raison de vingt heures de clarté par jour et de multiples émotions. Le voyage soudain devient intérieur. Il est de ceux dont on ne connaît pas la fin.
Olivier JOLY